Recep Tayyip Erdogan et Kemal Kiliçdaroglu s’affronteront lors d’un second tour présidentiel inédit
C’était presque sûr, c’est désormais certain. Pour la première fois depuis qu’il se présente à l’élection présidentielle, le chef de l’Etat turc, Recep Tayyip Erdogan, est contraint à un second tour, prévu le 28 mai, ont fait savoir les responsables électoraux lundi 15 mai, en milieu d’après-midi.
La Turquie s’est massivement rendue dans les isoloirs dimanche pour le premier tour du scrutin présidentiel. Le dernier comptage, portant sur près de 99,9 % des urnes, accorde 49,5 % des suffrages au chef de l’Etat, au pouvoir depuis vingt ans, contre 44,9 % à son rival social-démocrate, Kemal Kiliçdaroglu. Le « reis » Erdogan, que les sondages donnaient pourtant à la traîne, conserve également sa majorité au Parlement. L’issue du second tour s’annonce plus qu’incertaine pour l’opposition, qui affirmait dimanche soir être « en tête ».
Dans son discours, tenu au siège de son parti, l’AKP, à Ankara, vers 2 heures du matin, lundi, le président turc s’est félicité que « bien que les résultats ne soient pas encore clairs, nous sommes en tête de loin » et il a même assuré penser « que nous terminerons avec un taux de plus de 50 % des suffrages ». « Si le peuple nous emmène au second tour, nous le respecterons », a-t-il toutefois confirmé.
« Besoin de changement dans la société »
Alors que les sondages l’ont parfois donné en deuxième position, s’il ne s’agit pas tout à fait d’une victoire, ce résultat n’est pas une défaite pour M. Erdogan, à la tête du pays depuis vingt ans, qui s’est affirmé convaincu devant une marée de partisans exultant au cœur de la nuit « de servir encore son pays pendant cinq ans ». Malgré tout, « le peuple a choisi la stabilité et la sécurité lors de cette élection présidentielle », a-t-il affirmé.
Même confiance affichée par son rival, qui a promis à son camp qu’il allait « absolument gagner au second tour », faisant valoir « le besoin de changement dans la société ». C’est la première fois que le chef de l’Etat, 69 ans, est contraint à se présenter une seconde fois devant les électeurs faute d’avoir réuni 50 % des voix.
Face à lui, Kemal Kiliçdaroglu, un ancien haut fonctionnaire de 74 ans qui emmenait une coalition inédite de six formations de l’opposition, était donné régulièrement en tête par les instituts de sondages. Il est arrivé premier dans le sud-est du pays, à forte population kurde, et dans les régions côtières et les grandes villes. A Istanbul, fief de l’AKP jusqu’en 2019, dirigée de 1994 à 1998 par M. Erdogan, M. Kiliçdaroglu a devancé son principal adversaire avec 48,54 % des voix contre 46,7 %. A Ankara, où le président avait remporté 51,5 % des suffrages en 2018, M. Kiliçdaroglu le devance aujourd’hui (47,32 % contre 46 %).
Bataille de chiffres
Durant la soirée de dimanche, les deux camps se sont livrés une bataille de chiffres, enjoignant à leurs observateurs respectifs de rester sur les lieux de dépouillement « jusqu’au bout ». L’opposition a immédiatement contesté les premières estimations de l’agence Anadolu, très favorable au président sortant, affirmant que les résultats des bureaux de vote les plus encourageants pour son candidat restaient bloqués dans le système du Haut Conseil électoral (YSK).
« Vous entravez la volonté de la Turquie. Mais vous ne pouvez pas empêcher ce qui va advenir, nous n’accepterons jamais le fait accompli », a prévenu M. Kiliçdaroglu en début de soirée, avant de jouer l’apaisement. Le troisième candidat, Sinan Ogan, dissident du parti nationaliste MHP, crédité d’environ 5 % des voix, s’apprête à négocier sans préciser avec qui.Toute la journée, les urnes s’étaient remplies à grande vitesse de grosses enveloppes couleur moutarde déposées par des électeurs enthousiastes qui ont parfois attendu plusieurs heures avant de pouvoir voter. Le taux de participation, semble-t-il proche de 90 %, n’a pas été communiqué officiellement.
Les 64 millions d’électeurs devaient aussi choisir les 600 députés qui siégeront au Parlement monocaméral à Ankara. M. Erdogan en a revendiqué « la moitié » pour son camp. Les résultats provisoires laissent entrevoir un effritement de l’AKP, qui avait déjà perdu la majorité absolue en 2018, avec seulement 295 sièges. Il ne lui en resterait plus que 266 dans la prochaine assemblée, où l’apport de son allié d’extrême droite du Parti d’action nationaliste (MHP, ultranationaliste, 51 élus) sera toujours plus indispensable.
Un pays usé par la crise économique
En 2018, lors de la dernière présidentielle, le chef de l’Etat l’avait emporté au premier tour avec plus de 52,5 % des voix. Ce ballottage constitue donc déjà un revers pour M. Erdogan, qui a su développer son pays et le tirer vers la prospérité avant d’engager une dérive autocratique. C’est aussi un encouragement pour la vision laïque et prodémocratie de Kemal Kiliçdaroglu, à la tête du CHP, le parti de Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne.
M. Kiliçdaroglu emmenait un front uni de six partis de la droite nationaliste au centre gauche libéral censée lui garantir la victoire, avec le soutien du parti prokurde HDP, troisième force politique du pays. M. Erdogan se présentait en revanche devant un pays usé par une crise économique, avec une monnaie dévaluée de moitié en deux ans et une inflation qui a dépassé les 85 % à l’automne 2022.
La gestion du séisme meurtrier de février a également pesé sur son bilan. Dans les provinces touchées, le président et son parti ont obtenu des résultats mitigés, souvent en baisse par rapport à ceux obtenus en 2018.
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