Brûlures profondes provoquées par l’utilisation de protoxyde d’azote à partir d’une bonbonne

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C’est l’histoire de trois femmes et un homme qui ont consulté entre novembre 2021 et août 2022 au CHU Lapeyronie de Montpellier. Ces patients, dont la moyenne d’âge est de 28 ans, ont en commun d’avoir présenté des brûlures du troisième degré, de forme arrondie, au niveau de la face interne des cuisses.

Dans les trois cas, on observe un retard à la prise en charge. Ces trois personnes ont attendu en moyenne sept jours avant de se rendre à l’hôpital. Elles ont banalisé leurs blessures, par le désir de les cacher ou la volonté de nier que le contexte dans lesquelles elles se sont produites présentait un danger. Deux des trois patients étaient suivis en addictologie pour dépendance aux benzodiazépines et aux opiacés, précisent les auteurs de l’article paru dans le numéro d’avril 2023 des Annales de chirurgie plastique esthétique.

Gaz hilarant

Ces brûlures ont eu lieu alors que ces personnes se livraient à un usage détourné du protoxyde d’azote. Initialement commercialisé comme gaz de compression dans les cartouches de siphon à crème chantilly, ce gaz est inhalé à des fins récréatives.

Le protoxyde d’azote est un agent anesthésique volatil utilisé par voie inhalée depuis 170 ans par les médecins. C’est en 1799 que Humphry Davy, jeune chimiste anglais et futur président de la Royal Society, a expérimenté l’utilisation de ce gaz et découvert son effet hilarant. Aujourd’hui, le protoxyde d’azote (N2O) est communément appelé « gaz hilarant » ou « proto ». Celui-ci est extrait de cartouches à  usage culinaire avant d’être transféré dans un ballon de baudruche, ou dans un sac en plastique, servant à inhaler le gaz hilarant. Sa vente est interdite aux mineurs en France depuis 2021, mais plus d’un quart des étudiants affirment en avoir déjà consommé.

Brûlures profondes à la face interne des cuisses

Le siège particulier des brûlures observées tient au fait que ces personnes tenaient la bonbonne métallique entre leurs cuisses au moment de la détente du gaz contenu dans la bonbonne. Celle-ci est en effet fermement maintenue entre les cuisses pour avoir les mains libres pour gonfler les ballons.

« L’épiderme et le derme étaient parfois restés collés sur la paroi des bonbonnes selon les dires des patients. Aucune cicatrisation spontanée n’a été constatée », précisent Prescilia Tillet, Christian Herlin et leurs collègues du département de chirurgie plastique, reconstructrice, brûlés, plaies et cicatrisation du CHU et du centre de traitement des brûlés de Montpellier. Ces blessures relevaient donc d’une indication chirurgicale, une excision-greffe de peau mince étant indiquée pour ces trois patients. En d’autres termes, il a fallu procéder à l’ablation des tissus morts de la zone brûlée avant de réaliser une greffe de peau.

Retard de la prise en charge

Du fait du retard à la prise en charge initiale, les patients ont bénéficié de ce traitement chirurgical après un délai moyen assez long, en l’occurrence 32 jours après avoir été brûlés.

Pour comprendre l’origine des brûlures, il faut savoir que la détente du gaz contenu dans la bonbonne entraîne un refroidissement du métal. Il s’agit là d’un phénomène peu connu. En effet, lors de l’ouverture de la valve de la bonbonne, du fait de la baisse de pression, la température du protoxyde d’azote chute et atteint les -55 °C. Ceci expose l’utilisateur au risque de brûlure par le froid car la bonbonne se refroidit progressivement, sans que l’on puisse s’en apercevoir forcément.

C’est cette étape précédant l’inhalation qui provoque des brûlures aux cuisses par contact. Or, à ce moment-là, l’utilisateur, qui est en train de remplir les ballons, subit les effets du gaz qui s’échappe facilement et qu’il respire (dont on rappelle qu’il est utilisé en anesthésie). Les effets analgésiques du protoxyde d’azote peuvent alors amoindrir, voire abolir, les réflexes de retrait, ce qui peut contribuer à aggraver des lésions du fait d’un contact plus long entre la bonbonne et la peau.

Des brûlures d’abord superficielles, qui entraînent par la suite de profondes lésions

Au début, les brûlures sont superficielles, mais elles deviennent profondes par la suite. Les médecins ont observé que la zone brûlée concernait la totalité du derme et s’étendait en profondeur jusqu’à l’enveloppe des muscles sous-jacents (fascia musculaire). Comme ils le soulignent, « l’évolution des lésions était stéréotypée, avec une destruction immédiate de la partie superficielle de la peau entraînant un aspect cartonné évoluant assez vite vers une chute d’escarre ».

Pour les auteurs de l’article, « le protoxyde d’azote représente un réel problème de santé publique, se surajoutant aux effets indésirables propres de la substance ». Le protoxyde d’azote peut ainsi provoquer de graves brûlures en plus de présenter des risques neurologiques (sclérose combinée de la moelle épinière), psychiatriques, voire hématologiques, hépatiques et rénaux.

En 2021, une équipe française a rapporté dans les Annals of Burns and Fire Disasters six cas de brûlures de troisième degré à la face interne des cuisses dans le cadre d’un usage festif de protoxyde d’azote. Initialement superficielles, ces lésions ont gagné en profondeur et ont nécessité une prise en charge chirurgicale.

Les patients étaient quatre hommes et deux femmes, âgés de 17 à 25 ans. Là encore, la prise en charge a accusé un retard, les patients s’étant présentés en consultation de brûlologie plus d’une semaine après l’incident.

Le traitement précoce des engelures repose principalement sur un réchauffement rapide et des anti-inflammatoires. Ce protocole n’avait pu être utilisé pour les six patients observés par les chirurgiens lillois du fait qu’ils avaient tous consulté tardivement.

Tous ont bénéficié d’un traitement chirurgical (débridement chirurgical de  tous les tissus nécrosés, suivi d’une couverture cutanée par greffe). La cicatrisation a été obtenue après un délai moyen de 32 jours après la brûlure, précisent Antoine Defurne, Louise Pasquesoone et ses collègues du centre de traitement des brûlés et du service de chirurgie plastique de l’hôpital Roger Salengro de Lille.

La destruction tissulaire observée dans des brûlures occasionnées par le mésusage du protoxyde d’azote semble être la résultante de ces deux mécanismes : d’une part les dommages cellulaires directs au moment de l’exposition au gaz porté à basse température ; d’autre part, le manque d’oxygénation (ischémie dermique progressive) du fait d’un rétrécissement du calibre des petits vaisseaux sanguins (vasoconstriction artérielle).

La congélation des tissus entraîne la formation de cristaux de glace extracellulaires, ce qui participe à la destruction mécanique des cellules. Quant à la vasoconstriction des micro-vaisseaux, elle entraînerait une diminution du flux sanguin, une fuite d’électrolytes des cellules, une altération des cellules endothéliales tapissant l’intérieur des vaisseaux et la formation de caillots sanguins (thrombose), l’ensemble de ces phénomènes conduisant à la nécrose (mort cellulaire). Ces modifications de la microcirculation sanguine expliqueraient que les lésions cutanées s’étendent progressivement en profondeur et que la destruction tissulaire soit plus profonde dans les brûlures par le froid (ou engelures) que ce que l’on observe généralement dans celles causées par un métal brûlant.

Certaines équipes ont proposé l’oxygénothérapie hyperbare comme alternative au traitement chirurgical dans le traitement des engelures. L’administration d’oxygène à une pression supérieure à la pression atmosphérique vise à augmenter la pression tissulaire en oxygène dans des tissus endommagés de manière réversible. Cette modalité thérapeutique nécessite évidemment de disposer d’un caisson hyperbare. Elle permet de préserver les cellules souffrant d’ischémie, tout en contribuant à réduire la prolifération de certains micro-organismes.

L’équipe lilloise a déclaré vouloir « alerter » la communauté scientifique sur les engelures, « complication peu connue de l’usage détourné du protoxyde d’azote dans la population jeune ». Elle juge également essentiel de fournir une information adaptée aux professionnels de santé et aux jeunes se livrant à cette pratique afin de les inciter à consulter plus tôt en cas de brûlures.

Quant aux spécialistes lillois, ils considèrent que « des mesures de prévention et de sécurité sanitaire sont indispensables » et estiment « licite de demander aux industriels de protéger toutes les bonbonnes par une mousse isotherme » pour limiter le risque de brûlure.

Le premier cas de brûlure par mésusage de protoxyde d’azote remonte à 1988. Il concernait un brancardier qui avait eu la bonne idée de poser ses lèvres sur la valve d’une bonbonne à usage médical pour inhaler le gaz directement. Il avait présenté des engelures des lèvres, de la bouche, de la langue et du palais. Réalisant tout de même le danger de la situation malgré son état, il avait réussi à se libérer de force, mais au prix de sévères lésions au niveau des lèvres.

En 2008, la survenue de brûlures de la cavité buccale et des voies aérodigestives supérieures a été rapportée dans l’Ear Nose Throat Journal par des médecins ORL américains chez un jeune adulte qui avait inhalé du protoxyde d’azote, semble-t-il à des fins suicidaires, directement à partir de la bonbonne. Cela avait provoqué un très important œdème des lèvres, une nécrose du palais, ainsi qu’une brûlure de la joue droite.

Plus récemment, des chirurgiens néerlandais et britanniques ont fait état de cas de brûlures à la face interne des cuisses liées à l’usage récréatif du protoxyde d’azote.

Publié en 2021 dans la revue en ligne BMJ Case Reports, un cas a été rapporté par des chirurgiens du département de brûlologie et de chirurgie plastique des Mid Yorkshire Hospitals de Wakefield (Angleterre). Il concerne une adolescente qui portait un jean au moment de l’incident et qui a été en contact pendant une trentaine de minutes avec la bonbonne fermement enserrée entre les cuisses.

La jeune fille n’avait ressenti qu’une gêne minime au moment où elle gonflait les ballons de baudruche au cours de cette période et n’avait pas alors réalisé qu’elle était victime de brûlures du second degré. Ce n’est que le lendemain matin, à son réveil, qu’elle a découvert de grandes cloques sur les deux cuisses, si douloureuses que cela l’empêchait de se déplacer.

Chez cette adolescente, les brûlures n’avaient complètement cicatrisé qu’après 82 jours, un délai bien plus long que celui estimé au moment de l’incident. Les pansements devaient être changés plusieurs fois par jour durant son hospitalisation qui a duré 10 jours. De retour chez elle, la jeune patiente avait dû changer de pansement tous les jours.

Il s’avère que le coût global des soins de cette adolescente n’avait absolument rien d’hilarant. Il a été estimé à 25 000 livres sterling, soit à plus de 28 000 euros.

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