Financée par la NBA, la Basketball Africa League monte en puissance
La « pépite », comme le surnomme son coach, a brillé. Un jeu lumineux comme le parquet de la Kigali Arena au Rwanda. Et une performance insolente : meilleur marqueur (28 points) de cette demi-finale de la Basketball Africa League (BAL), nouvelle compétition panafricaine financée par la NBA, la prestigieuse ligue américaine. Mercredi 24 mai, Jean-Jacques Boissy, meneur de l’AS Douanes de Dakar, a permis à son équipe de terrasser les colosses du Petro de Luanda, si redoutés sur le continent (86-92).
Les Sénégalais vont rencontrer en finale, samedi 27 mai, les Egyptiens d’Al-Ahly et tenter de décrocher le titre de champion d’Afrique des clubs. Une place de finaliste qui vient conforter une intuition : il était temps de rentrer au pays. « Un pari », précise Jean-Jacques Boissy, étonnant pour certains, inconcevable pour d’autres, sensé pour lui.
Quelques semaines plus tôt, l’international sénégalais de 23 ans était assis dans les gradins du stade Marius Ndiaye de Dakar. Pas d’entraînement pour lui : il devait se rendre à l’hôpital pour surveiller une petite blessure sur le haut de la cuisse. Transpirer sous le dôme de cet arena est un retour vers le passé : le temps semble s’être figé dans les années 1990. Les murs sont éreintés, les chaises tiennent à peine sur leurs quatre pieds. Bref, pas grand-chose est aux normes. Le ballon a du mal à rebondir sur ce parquet lourd et abîmé « car il est très sollicité, toutes les équipes de basket de la ville s’entraînent ici », explique le coach Mamadou Gueye Pabi. Et les anneaux des deux panneaux sont tellement rigides qu’ils empêchent les joueurs d’être précis dans leurs tirs.
Malgré ces conditions difficiles pour un athlète de haut niveau, Jean-Jacques Boissy s’est engagé avec les Douanes en début d’année. Jusqu’alors, il portait le maillot du CB Cornella, équipe catalane de troisième division. Pourquoi lâcher un monde professionnel en Europe pour jouer dans un championnat encore amateur au Sénégal ? « C’est un investissement que je fais sur moi, pointe-t-il. J’ai plus d’opportunités avec les Douanes à Dakar parce qu’ils jouent la BAL. » Difficile de le contredire.
Une compétition continentale
En trois saisons d’existence, la Basketball Africa League commence déjà « à donner une autre image du continent », assure Mamadou Gueye Pabi. Depuis trois décennies, la NBA s’intéresse de très près à l’Afrique : après avoir notamment organisé des camps pour les jeunes en Afrique du Sud (2003), ouvert un bureau à Johannesburg (2010) et un centre de formation à Saly au Sénégal (la NBA Academy Africa, en 2017), la NBA a lancé, en partenariat avec la Fédération internationale de basket-ball (FIBA), une compétition continentale. « Nous prenons tout en charge, c’est un investissement considérable », souligne le Sénégalais Amadou Gallo Fall, président de la BAL et vice-président de la NBA.
Quel est le principe de ce tournoi ? Douze clubs de douze pays s’affrontent, six dans le nouveau stade de Diamniadio, situé non loin de Dakar (conférence du Sahara), six autres au Caire (conférence du Nil) et les meilleurs se retrouvent à Kigali pour les playoffs. « Très honnêtement, en termes d’organisation, il n’y a pas mieux en Afrique, assure Woury Diallo, journaliste sénégalais au Quotidien. Si on ferme les portes du stade, on dirait qu’on est en NBA. »
Spectacle, ambiance, lumière… Les moyens et le savoir-faire des Américains semblent ne pas avoir de limite. Le parquet et les panneaux de basket du tournoi ont même été importés des Etats-Unis. « Lorsque nous avons participé à notre premier match de la BAL en mars, je n’ai pas reconnu mes joueurs, ils n’avaient plus de repères. Certains n’avaient jamais foulé un tel parquet », reconnaît l’entraîneur des Douanes. « Le standard est très élevé, la NBA n’a rien fait au rabais », souligne Matar Bâ, ancien ministre des sports du Sénégal (2014-2022), aujourd’hui chef de cabinet du président Macky Sall.
« La BAL nous pousse à nous professionnaliser », explique Jack Mactar Dieng, vice-président des Douanes. D’ailleurs, chaque club a l’obligation de signer un contrat professionnel avec les joueurs engagés dans la compétition et de les rémunérer au moins 1200 euros par mois le temps du tournoi (quatre mois maximum). Et pour hausser le niveau des équipes, ces dernières ont la possibilité d’enrôler deux basketteurs africains et deux joueurs venus d’autres continents. Par exemple, l’AS Douane a recruté deux Américains, un Nigérian et un Sud-Soudanais. « Mais ça coûte cher, le salaire d’un Américain est de 10 000 dollars sans les frais de transport ou d’hébergement, détaille M. Dieng. Pour nous aider, la BAL nous subventionne à hauteur de 70 000 dollars. Mais c’est trop peu, la compétition est très onéreuse. »
« Une visibilité inespérée pour les joueurs africains »
C’est le prix à payer pour participer à un produit haut de gamme. « Ce tournoi offre surtout une visibilité inespérée pour les joueurs africains », note Babacar Ndiaye, président de la Fédération sénégalaise de basket. Et pour cause : selon la BAL, l’événement est « accessible aux fans » de 214 pays dans 17 langues, diffusé sur des chaînes en clair et payantes (ESPN Afrique subsaharienne, NBA TV, Tencent ou TV5 Monde), suivi par « plus de 250 professionnels des médias ».
Justement, c’est cette « visibilité » qu’a recherchée Jean-Jacques Boissy en quittant l’Europe. « Grâce à la BAL, beaucoup de joueurs africains, comme Jean-Jacques, reviennent ou souhaitent revenir dans leur pays, c’était inimaginable il y a encore trois ans, s’enflamme Abdoul Aziz Mbodj, ancien président de Dakar Université Club (DUC), équipe qui a participé à la compétition en 2022. Je me rappelle avoir proposé, il y a très longtemps, à un ami qui peinait en France de se relancer au Sénégal, il m’a dit : “Toi, tu ne me veux pas du bien”. » Jack Mactar Dieng corrobore ces propos évoquant même « un changement de paradigme », qui montre que le basket africain prend le bon chemin.
Comme tant d’autres basketteurs, Jean-Jacques Boissy a un rêve : porter le maillot d’une franchise du championnat américain. « Quand tu joues cette compétition, tu te rapproches un peu plus de la NBA. Voilà pourquoi la BAL est une opportunité pour que ta carrière décolle, on ne sait jamais qui regarde », lance-t-il espérant qu’une grande équipe outre-Atlantique voire de la G-League (ligue mineure, antichambre de la NBA) le découvre. « Les joueurs peuvent avoir un contrat n’importe où dans le monde », assure Mamadou Gueye Pabi.
Avant le début du tournoi, le coach des Douanes a reçu des tas d’appels d’agents qui cherchaient à placer des basketteurs dans son équipe. « Des Mexicains, des Indiens, des basketteurs des cinq continents veulent désormais aller jouer dans un club qui dispute la BAL, confie Adam Bamba, un agent ivoirien certifié FIBA. Ils ont l’impression d’aller en NBA mais en Afrique. »