Thomas Piketty : « Il ne faut pas trop attendre du Conseil constitutionnel »

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Alors que les sages du Conseil constitutionnel s’apprêtent à rendre leur décision sur les retraites, il n’est pas inutile de poser une question simple. De façon générale, peut-on faire confiance aux juges constitutionnels ? Entendons-nous bien : les cours constitutionnelles jouent un rôle absolument indispensable dans tous les pays. Malheureusement, comme tous les pouvoirs, ces institutions précieuses et fragiles sont parfois instrumentalisées et abîmées par les personnes auxquelles ces fonctions éminentes ont été confiées, et qui tentent souvent d’imposer leurs propres préférences politiques sous le couvert du droit.

Les exemples sont légion dans l’histoire. Aux Etats-Unis, la Cour suprême décide en 1896, dans le sinistre arrêt Plessy vs Ferguson, qu’il est parfaitement légal pour les Etats du Sud de pratiquer la ségrégation raciale autant qu’ils le souhaitent. L’arrêt constitue le fondement légal de l’ordre ségrégationniste jusqu’aux années 1960. Dans les années 1930, la Cour censure à plusieurs reprises les législations sociales adoptées par le Congrès dans le cadre du New Deal, au motif que certaines constitueraient une atteinte inacceptable à la liberté d’entreprendre (que les juges choisissent d’interpréter à leur guise).

Réélu en 1936 avec 61 % des voix, Roosevelt annonce son intention de nommer de nouveaux juges (la Constitution ne fixe pas leur nombre) afin de débloquer la situation. La Cour décide finalement de céder et de valider une loi décisive sur le salaire minimal qu’elle avait précédemment censurée. Plus près de nous, les arrêts Citizens United vs Federal Election Commission, en 2010, et McCutcheon vs Federal Election Commission, en 2014, ont décidé qu’il était illégal – car contraire aux principes de la liberté d’expression d’imposer des plafonds aux financements politiques privés.

Impôt et abus de pouvoir

En Europe aussi, les abus de pouvoir ne manquent pas. Un cas particulièrement extrême est apporté par l’affaire Kirchhof en Allemagne. Juriste fiscal très remonté contre l’impôt, Paul Kirchhof fut pendant la campagne de 2005 présenté comme le futur ministre des finances d’Angela Merkel, avec à la clé une proposition-choc : une « flat tax » limitant le taux d’imposition des plus hauts revenus.

Dans la sphère politique, chacun est bien sûr libre de ses opinions, qui en l’occurrence n’ont guère séduit les Allemands : tout indique que cette proposition a contribué à réduire le score de la CDU, si bien que Mme Merkel fut contrainte de former une coalition avec le SPD et de se séparer de son conseiller.

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