Chez les fourmis, la découverte de vraies chimères
la chimère a fait le bonheur des auteurs grecs. Comme toujours précurseur, Homère décrit dans l’Iliade cette créature « lion par-devant, serpent par-derrière, chèvre au milieu ».Hésiode préfère voir dans la fille de Typhon et d’Echidna un monstre à trois têtes, « l’une de lion, l’autre de chèvre, la tierce de serpent ». « Un être unique avec la puissance des trois bêtes » qui vomissait du feu et dévastait le pays en harcelant le bétail, ajoute Apollodore. On connaît la légende : pour la vaincre, Bellérophon dut d’abord dompter Pégase, le seul capable de rattraper le véloce animal.
Un mythe, assurément, direz-vous. Pourtant, la nature compte, elle aussi, ses chimères. Chez les ouistitis, il est usuel que les petits, qui naissent toujours par paires, partagent leur sang in utero. Si bien que l’un accueillera plus tard des cellules munies du bagage génétique de l’autre. A l’âge adulte, on voit ainsi des mâles engendrer une progéniture composée génétiquement non pas de fils ou de filles, mais de neveux et de nièces.
Les humains connaissent, eux aussi, leurs chimères. La littérature médicale relève, depuis les années 1950, une centaine de cas de naissances gémellaires dans lesquelles double ovulation et double fécondation ont été suivies par la fusion des deux œufs. Dans l’embryon, certaines parties du corps affichent alors un génotype, tandis que d’autres présentent le second. Les heureux élus ne semblent pas affublés de strabisme divergent.
Produire des chimères de façon systématique
Légende et réalité génétique, le chimérisme demeurait accidentel. Dans la revue Science du 7 avril, une équipe germano-suisse vient, pour la première fois, de mettre en évidence, chez des fourmis, un mode de reproduction qui donne naissance à des chimères de façon systématique. En temps normal, cette famille d’insectes apparaît déjà particulière : si les reines et les ouvrières sont dites « diploïdes », issues d’œufs fécondés, puisant leurs gènes chez les deux parents, les mâles sont haploïdes, provenant d’œufs non fécondés, clonant donc le génome de leur mère.
La fourmi folle jaune fait encore mieux : les mâles sont issus, eux aussi, d’œufs fécondés, mais leurs cellules, au lieu de présenter du matériel génétique du père et de la mère, disposent de l’un ou de l’autre, selon les cas. Depuis 2007, les chercheurs tentaient de comprendre l’origine de la diversité génétique unique des mâles Anoplolepis gracilipes, une fourmi connue pour son succès reproducteur exceptionnel et sa capacité invasive redoutable. « De nombreuses hypothèses, toutes plus folles les unes que les autres ont été explorées, rappelle le Français Hugo Darras, chercheur à l’université de Mayence, en Allemagne, et premier signataire de l’article, jusqu’à ce qu’on découvre que les mâles ne sont pas diploïdes mais chimériques. »
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