
« Fried chicken », « hot wings », « chicken waffles », cette « nourriture de l’âme » venue du sud des Etats-Unis
Je me rappelle très bien la première fois que j’ai croqué dans un morceau de poulet frit. C’était au début des années 2000, j’étais encore adolescent et la chaîne de fast-food américaine Kentucky Fried Chicken (KFC), qui se développait alors un peu partout en France, venait d’ouvrir une franchise dans la petite ville de province dans laquelle j’habitais. Le restaurant – un grand cube de béton gris flanqué du logo rouge, blanc et noir de l’enseigne – s’était planté au milieu de nulle part, en marge d’une zone industrielle.
Le bus m’a déposé à l’un de ces arrêts anonymes que l’on trouve en bordure de périphérique, et avec une certaine détermination, j’ai parcouru à pied les deux kilomètres qui me séparaient du restaurant, tout en serrant fermement ce coupon promotionnel que j’avais pris soin de découper dans le journal local, quelques heures plus tôt. « 5 Hot Wings achetées = 5 offertes » : le jeu en vaut sûrement la chandelle, me disais-je, en me demandant encore ce qui m’avait poussé à déployer autant d’efforts juste pour aller goûter dix pièces de volaille imbibées d’huile. Peut-être était-ce l’attrait de la nouveauté ? Le pouvoir suggestif d’une opération marketing rondement menée ?
Avec du recul, je sais maintenant que j’étais à la recherche d’autre chose. J’ai voulu aller manger chez KFC comme j’allais voir un blockbuster au ciné, comme je portais une paire de baskets Nike ou comme j’affichais un poster de Michael Jordan dans ma chambre : pour m’offrir une dose d’exotisme yankee, une petite tranche de mode de vie à l’américaine.
Réconfort coupable
Une fois sur place, je mis enfin la main sur les Hot Wings. En l’espèce, une boîte en carton maculée de taches de graisse, dans laquelle reposait un assortiment composé de pilons et d’ailes de poulet. Lesquels avaient, au préalable, été assaisonnés avec un mélange d’herbes et d’épices, puis enrobés d’une épaisse couche de panure avant d’être brièvement cuits, immergés tout entiers dans un bain de friture. Une odeur désagréable de graillon s’est instantanément emparée de mes narines ; elle me collait aux doigts, elle s’incrustait dans mes vêtements. Mais étrangement, ce jour-là, j’ai pris un certain plaisir à sentir ma bouche s’envahir de gras, à sentir la peau croustiller sous mes dents et à suçoter les ailes jusqu’aux os. Dans ce plat de malbouffe, peu ragoûtant, j’ai trouvé une forme de réconfort coupable, dont le goût allait désormais vivre en moi comme un souvenir gustatif marquant.
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