Handicap : l’accessibilité des bâtiments, une exigence sans cesse repoussée

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Le président de la République, Emmanuel Macron, avait fait de la lutte contre les inégalités subies par les personnes en situation de handicap une de ses priorités en 2017, et pourrait réitérer ses engagements lors de la sixième Conférence nationale du handicap organisée, mercredi 26 avril, à l’Elysée. Mais plusieurs associations menacent de boycotter l’événement en raison d’un « manque apparent d’ambition » pour améliorer les droits des personnes handicapées.

Cette annonce survient une semaine après la décision, publiée le 17 avril, du Comité européen des droits sociaux (CEDS), qui a épinglé l’Etat français pour « violation » des droits des personnes en situation de handicap et de leurs familles. Cette instance de contrôle du Conseil de l’Europe, chargée d’examiner le respect de la Charte sociale européenne, considère que les autorités françaises « n’ont pas adopté de mesures efficaces dans un délai raisonnable en ce qui concerne l’accessibilité des bâtiments et installations, logements et des transports publics ».

La moitié des établissements recevant du public restent inaccessibles

En théorie, en France, tous les établissements recevant du public (ERP) devraient pouvoir accueillir des personnes handicapées. Administrations, commerces, établissements de santé, écoles, bibliothèques, cinémas… Les ERP sont des bâtiments qui peuvent accueillir des personnes extérieures gratuitement ou contre paiement, avec ou sans rendez-vous. Les entreprises qui n’accueillent que leur propre personnel ne sont pas considérées comme des ERP. Ceux-ci sont classés en cinq catégories en fonction de leur capacité d’accueil. Les établissements construits après 2005 sont en grande majorité aux normes, ce qui est loin d’être le cas pour le bâti antérieur.

« Sur près de 1,8 million d’ERP, 900 000 sont dans une démarche vers l’accessibilité », a assuré Carole Guéchi, déléguée ministérielle à l’accessibilité au ministère de la transition écologique, interrogée en février par La Gazette des communes, alors qu’en 2015, seulement 50 000 bâtiments étaient accessibles, selon elle. S’il y a eu des progrès, l’objectif est toutefois loin d’être atteint.

Ce retard contrarie les associations françaises : « Depuis des décennies, les personnes en situation de handicap n’ont pas accès à un certain nombre d’ERP », dénonce Stéphane Lenoir, coordinateur du Collectif handicaps, interrogé par Le Monde. Pourtant, l’impératif d’accessibilité est inscrit dans la loi depuis le 30 juin 1975.

Le bilan en demi-teinte des lois en faveur de l’accessibilité

Cela fait près de cinquante ans que les lois s’accumulent pour améliorer l’accessibilité de ces établissements à tous les citoyens.

La loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées : ce texte a instauré le principe de l’accessibilité, c’est-à-dire l’obligation pour tous les ERP d’être accessibles à tous. En fixant cet objectif sans se donner les moyens pour y parvenir, ce texte a eu une portée symbolique mais peu d’effets concrets.

La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées : elle a été votée pour renforcer l’obligation de mise en accessibilité des ERP, en leur accordant un délai de dix ans pour être aménagés. Cette échéance a ensuite été repoussée en septembre 2014. En effet, la sénatrice Claire-Lise Campion estimait, dans un rapport de 2013, que les délais imposés par la loi étaient trop ambitieux.

L’ordonnance du 26 septembre 2014 : ce texte a élargi les motifs de dérogations. En plus des motifs déjà existants d’impossibilité technique liée à l’environnement ou à la structure du bâtiment, de préservation du patrimoine architectural ou de disproportion manifeste entre la mise en accessibilité et ses conséquences, les ERP peuvent désormais demander une dérogation en cas de refus de la copropriété.

Elle a également permis aux ERP qui demeuraient inaccessibles à certains publics fin 2014 de déposer des « agendas d’accessibilité programmée » pour planifier les travaux de mise en conformité, jusqu’à l’année 2024. L’ordonnance établissait un délai plus restreint de trois ans pour la mise aux normes des ERP de « cinquième catégorie », accueillant le moins de public, tels que les commerces de proximité, les restaurants et les cafés, qui ont la plus petite capacité d’accueil. Ce délai pouvait être prolongé deux fois.

Depuis 2018, un certain nombre de petits établissements auraient donc dû être aménagés. Cependant, dans la réalité,« Il y a très peu d’ERP de cinquième catégorie accessibles aujourd’hui », regrette Nicolas Mérille, conseiller national accessibilité de l’association APF handicap, interrogé par Le Monde, « mais pire, un certain nombre n’a pas déposé de dossier à la préfecture ».

Le constat alarmant de l’absence de recensement et de contrôle

Auditionnée par le CEDS, la Défenseure des droits, Claire Hédon,a souligné l’absence de recensement de ces établissements de cinquième catégorie, ce qui limite la possibilité de contrôles et de sanctions en cas de non-respect des obligations de conformité. Le constat a de quoi inquiéter, car 80 % des ERP sont de catégorie 5, explique-t-elle.

Les contrôles sont prévus dans le cadre de la loi. Les ERP ne respectant pas les obligations de conformité s’exposent à des amendes, dont le montant varie entre 1 500 euros et 225 000 euros. Les associations qui ont saisi le CEDS dénoncent des contrôles trop peu nombreux. A défaut d’avoir des données précises sur le nombre de contrôles effectués, une enquête menée par APF handicap dans les Pays de la Loire révèle qu’en réalité, sur 442 établissements qui s’étaient déclarés accessibles sur l’honneur à la préfecture, 86 % ne le sont pas.

Une régression de l’accessibilité dénoncée par les associations

Le Forum européen des personnes handicapées, qui a porté la réclamation des associations françaises auprès du CEDS, constate dans un communiqué que « les obligations de l’Etat et de ses services en matière d’accessibilité ont régressé dans tous les domaines ».

Plusieurs éléments poussent les associations à considérer que la situation a empiré depuis 2005 : elles déplorent des délais de mise en conformité toujours repoussés, un élargissement des motifs de dérogation, mais aussi un déficit d’appréhension de la diversité des incapacités, notamment celles qui ne sont pas seulement motrices.« Les besoins des personnes en situation de handicap liés à des altérations des fonctions mentales, cognitives et psychiques, ne sont quasiment pas pris en compte dans les politiques d’accessibilité », relève Roselyne Touroude, vice-présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques, interrogée par Le Monde.

La dématérialisation d’un certain nombre de services aggrave la situation. « Dans les établissements accueillant du public, l’assistance humaine à l’accueil disparaît de plus en plus au profit d’automates, de machine ou de démarches en ligne », souligne-t-elle, ce qui pose problème pour les publics souffrant d’un handicap visuel ou mental, et qui ont besoin d’une assistance adaptée à leur situation.

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