
La lutte contre le RN ne peut pas être banalisée
La notabilisation dont le Rassemblement national (RN) fait son miel suscite des tensions au sein de l’exécutif. Interrogé mercredi 31 mai lors d’un déplacement à Bratislava (Slovaquie), Emmanuel Macron a dû assurer Elisabeth Borne de sa « confiance », alors qu’il avait donné l’impression, la veille, en conseil des ministres, de recadrer sa première ministre à propos du combat contre l’extrême droite. Dimanche, au micro de Radio J, celle-ci avait estimé que le RN était un « héritier de Pétain » porteur d’une « idéologie dangereuse » dont il « ne faut pas banaliser les idées ». Emmanuel Macron a pour sa part estimé, devant ses ministres, qu’il ne fallait pas mener le combat contre l’extrême droite « par des arguments moraux » mais par « le fond » et « le concret ».
Portée sur la place publique, alors que la cohésion du couple exécutif est déjà entamée par le conflit social autour de la réforme des retraites, la joute tombe mal. Elle n’en reflète pas moins un débat légitime, qui ne concerne pas que l’exécutif mais agite aussi bien la droite que la gauche, confrontées à la dynamique électorale du Rassemblement national, dans un contexte européen marqué par la progression de l’extrême droite.
L’effondrement du front républicain lors du scrutin législatif de 2022 marque à l’évidence un tournant dans la lutte. Ce qui a marché contre Jean-Marie Le Pen, qui avait l’art de se mettre au ban de la République en multipliant les provocations, fonctionne beaucoup moins contre sa fille Marine, qui a tout fait pour dédiaboliser le parti d’extrême droite, au point même d’oser revendiquer sa part de l’héritage gaulliste.
Renvoyer le RN à ses propres impasses
La fidélisation d’une partie de l’électorat populaire autour de son projet, qui a la particularité d’être aussi nationaliste mais plus social que celui de son père, ne peut être négligée. Si Marine Le Pen a engrangé 8 millions de voix au premier tour de l’élection présidentielle de 2022, et 13 millions au second, c’est qu’une partie des électeurs ne trouve pas son compte dans la construction européenne associée à la perte de souveraineté. Nier cette réalité s’apparente à de l’aveuglement.
Tous les sujets qui servent de carburant au Rassemblement national (l’immigration, les fraudes, le sentiment de relégation, la perte d’efficacité de l’Etat) doivent être mis sur la table et traités avec le souci de renvoyer le parti d’extrême droite à ses propres impasses, le renoncement à la sortie de l’euro en étant la manifestation la plus tangible.
Emmanuel Macron, qui, par deux fois, a dominé Marine Le Pen lors du débat télévisé d’entre-deux-tours de la présidentielle, a quelque légitimité à défendre son point de vue, mais Elisabeth Borne, fille d’un rescapé de la Shoah, est tout aussi fondée à se souvenir des origines du RN. Des pétainistes ont bel et bien participé à la création du Front national, l’ancêtre du RN, et, si Marine Le Pen n’a jamais revendiqué cette filiation, l’idéologie qu’elle défend reste dangereuse : elle est fondée sur la préférence nationale, autrement dit sur le rejet de l’étranger devenu le bouc émissaire des maux français.
A ce titre, le Rassemblement national ne pourra jamais être considéré comme un parti comme un autre, même si la couche de vernis se veut de plus en plus épaisse. Adepte du « en même temps », Emmanuel Macron aurait été bien inspiré sur ce sujet d’y rester fidèle : certes, les arguments moraux ne suffisent pas contre le RN, mais ils gardent toute leur pertinence.