Le labre nettoyeur, ce poisson qui se reconnaît dans la glace
Miroir, mon beau miroir… Dans le monde de Walt Disney et dans nos salles de bains, le rôle de l’ustensile est bien connu : nous dire qui est la plus belle – ou le plus beau, bien sûr. Dans celui des éthologues, il remplit un tout autre usage : nous indiquer qui est le plus intelligent. Ou plus exactement qui disposerait d’une sorte de conscience de soi-même, faculté longtemps considérée comme le propre de l’humain. En 1970, le psychologue Gordon Gallup faisait sensation en montrant que des chimpanzés placés face à un miroir tentaient d’effacer de leur front une marque qui y avait été déposée à leur insu. Depuis, le « test du miroir » a fait florès. Bonobos et orangs-outans ont vite été acceptés au club, suivis des grands dauphins, des orques, des chevaux et des éléphants d’Asie, ou encore des perroquets gris du Gabon ou des pies.
Avec le temps, toutefois, l’universalité de la méthode a été remise en cause. Si les gorilles y font piètre figure, ce n’est sans doute pas par défaut d’intelligence mais parce que, ne se regardant jamais face à face, ils n’observent pas davantage leur reflet. Si les chiens trébuchent eux aussi, c’est que leur perception de l’autre – et sans doute d’eux-mêmes – est moins visuelle qu’olfactive. « Je considère que tous les animaux ont une conscience de soi, au moins à un certain degré, tranche le primatologue Frans de Waal. La différence réside dans la façon dont le test du miroir exploite cette conscience, certaines espèces s’en tirant mieux que d’autres. »
Le scientifique néerlando-américain n’hésite pourtant pas à qualifier d’« incroyable » l’étude publiée le 6 février dans les Comptes rendus de l’Académie nationale des sciences américaine (PNAS). En 2019 et 2022, Masanori Kohda et ses collègues de l’université métropolitaine d’Osaka avaient déjà montré que le labre nettoyeur, un petit poisson à rayures bleu et argent, allait se gratter contre des rochers après avoir observé dans le miroir une marque sur son front. « Mais que percevait-il ? », la question restait en suspens, selon le biologiste japonais.
Average Rating