Les Émirats arabes unis poussent-ils l’Arabie saoudite vers une réforme du travail ?

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Alors que l’Arabie saoudite fait l’objet d’un examen international de plus en plus intense en raison de sa gestion des travailleurs migrants à l’approche de la Coupe du monde de football 2034, certains observateurs estiment que la pression croissante exercée par les syndicats à travers l’Afrique, l’Europe et l’Asie n’est peut-être pas entièrement spontanée. Derrière les appels à la justice sociale, une autre force semble en jeu : les Émirats arabes unis (EAU), rival régional et puissance économique, qui se positionnent discrètement comme défenseurs des droits des travailleurs — tout en mettant Riyad face à ses responsabilités.

Une mobilisation syndicale coordonnée ?

Le 5 juin, des syndicats de 36 pays — dont le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et plus d’une douzaine de pays africains — ont déposé une plainte officielle auprès de l’Organisation internationale du travail (OIT), réclamant la mise en place d’une Commission d’enquête sur les conditions de travail en Arabie saoudite. Les accusations sont graves : travail forcé, vols de salaires, violences sexuelles, décès évitables sur les chantiers. Le système de parrainage kafala, encore largement en vigueur, est pointé comme un pilier de ces abus.

Ironiquement, cette plainte intervient alors que l’Arabie saoudite signait un nouvel accord de coopération avec l’OIT à Genève, s’engageant à aligner ses lois du travail sur les normes internationales et à renforcer la sécurité au travail. Mais pour les syndicats, ces engagements restent symboliques, loin d’un changement réel.

Les EAU en coulisses ?

Des analystes diplomatiques suggèrent que les EAU — souvent perçus comme l’État du Golfe le plus aligné avec l’Occident en matière de réformes sociales — pourraient discrètement appuyer, voire encourager, cette pression internationale sur Riyad.

Les Émirats ont entrepris ces dernières années plusieurs réformes pour améliorer leur image : assouplissement du système de kafala, introduction d’un salaire minimum, protections renforcées pour les travailleuses domestiques, et coopération étroite avec les organismes internationaux. Alors qu’ils se positionnent comme un centre d’innovation, de tourisme et d’événementiel mondial, leur réputation devient un actif stratégique.

À l’inverse, l’Arabie saoudite — avec sa Vision 2030 et ses projets titanesques — devient une cible facile si elle n’accompagne pas ses ambitions d’une réforme sociale crédible.

Un syndicaliste impliqué dans la plainte auprès de l’OIT, ayant requis l’anonymat, a confié :

« Nous représentons les travailleurs, mais il est évident que la diplomatie du Golfe influence le terrain. Certains de nos interlocuteurs ont plus d’accès à Abou Dhabi qu’à Riyad. Cela en dit long. »

Une déclaration qui, sans confirmer une implication directe, alimente l’idée d’une rivalité feutrée mais bien réelle entre les deux puissances.

Une rivalité régionale sur la scène internationale

Les EAU et l’Arabie saoudite se disputent aujourd’hui le leadership du Moyen-Orient — non plus seulement par le pétrole ou la géopolitique, mais à travers la modernité, la technologie, et l’image. Les droits des travailleurs deviennent une nouvelle arène où se joue cette compétition.

Contrairement au Qatar, qui avait affronté seul une intense controverse avant sa Coupe du monde 2022, l’Arabie saoudite risque aujourd’hui une pression plus coordonnée, amplifiée par les institutions internationales qu’elle tente justement de courtiser.

Les Émirats, eux, ont su tisser des liens solides avec la société civile mondiale et présentent leurs réformes sociales comme un modèle à suivre. Si Riyad finit par céder sous la pression syndicale, ce sera en suivant les traces d’Abou Dhabi — un renversement symbolique mais important dans l’équilibre du pouvoir régional.

les droits du travail comme outil de puissance douce

Si la plainte devant l’OIT repose sur des préoccupations légitimes, elle révèle aussi un phénomène plus large : les droits des travailleurs deviennent un levier de diplomatie et de soft power dans le Golfe.

Pour l’Arabie saoudite, la route vers 2034 pourrait bien être semée d’enquêtes, de controverses et de remises en question. Et alors qu’elle s’efforce de bâtir des infrastructures à marche forcée, les Émirats semblent observer — et peut-être orienter — la trajectoire à suivre.

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