
« Le Parlement bouge encore, et c’est au fond une bonne nouvelle »
Avec la multiplication des procédures visant à raccourcir la discussion, voire à éviter les votes, les commentaires ont fleuri lors de l’examen de la loi sur les retraites pour faire état de l’hyper-rationalisation dont serait victime le Parlement. Une hyper-rationalisation qui serait délétère, symptomatique de la Ve République, et qui se renforcerait au fil du temps, notamment depuis l’instauration du quinquennat.
Sans nier que les derniers mois ont effectivement été marqués par la sollicitation répétée des outils relevant du parlementarisme rationalisé, il nous semble que la focalisation sur l’hyper-rationalisation empêche de percevoir un phénomène inverse : la « dérationalisation » du parlementarisme français. On entend par là, par opposition au mouvement de rationalisation, un desserrement des contraintes juridiques et politiques pesant sur les élus, se traduisant par une vie parlementaire tendanciellement éruptive, imprévisible, animée, productive et, parfois, influente – sans que le terme ne porte de jugement de valeur sur le bien-fondé de cette évolution.
Tout indique qu’hyper-rationalisation et dérationalisation constituent aujourd’hui deux dynamiques en tension, l’une alimentant l’autre. Entre obstruction et 49.3, le passage au Parlement de la loi sur les retraites en offre une parfaite illustration.
Discussion piège
La dérationalisation en marche puise à trois dynamiques relevant de temporalités distinctes. A court terme, elle est issue de la situation, inédite par son ampleur, de gouvernement minoritaire que connaît la France depuis juin 2022. Les majorités ne sont pas données et doivent être trouvées, texte par texte, voire article par article. Le bilan des premiers mois du second quinquennat d’Emmanuel Macron est à cet égard mitigé. Les négociations « stéréo », c’est-à-dire à la droite ou à la gauche de la majorité, ont fonctionné sur différents textes, mais ont échoué sur les principaux : les budgets et la retraite.
Les gouvernements minoritaires constituent pourtant une forme de gouvernement connue, viable et de plus en plus fréquente en Europe, notamment dans le Nord. Cette difficulté à adopter les mœurs de nos voisins est sans doute moins liée à une faiblesse structurelle du Parlement sous la Ve République – encore moins à un tropisme culturel – qu’à la conjonction du semiprésidentialisme et du scrutin majoritaire. Tant que le leader, officiel ou officieux, d’un parti ayant 10 % ou 15 % des sièges à l’Assemblée peut espérer rafler la mise en 2027, il n’est pas incité à jouer le jeu nordique d’un soutien sans participation, sans parler d’entrer dans une coalition.
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