En Tunisie, un nouveau Parlement corseté et sous haute surveillance
A peine élus et déjà sous pression ? Alors qu’ils prenaient leurs quartiers au palais du Bardo, lundi 13 mars, les députés tunisiens ont été sèchement mis en garde par le président Kaïs Saïed : le peuple, a rappelé le chef de l’Etat depuis Ghardimaou, une localité proche de la frontière algérienne, peut désormais révoquer ses représentants « après un an » de mandat. Il suffit pour cela qu’un dixième du corps électoral d’une circonscription se mobilise. « Nous écrivons une nouvelle page de l’histoire, [les députés] doivent se défaire de la mentalité qui prévalait pendant plus de dix ans », a insisté l’homme fort du pays.
La nouvelle Constitution, écrite sur mesure par Kaïs Saïed pour se doter de pouvoirs étendus, a drastiquement réduit la marge de manœuvre des parlementaires. Plusieurs articles permettent au président de la République de dissoudre l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), de gouverner par décret ou de s’arroger les pleins pouvoirs sans limite dans le temps et sans encadrement par des institutions indépendantes. Le contrôle du gouvernement par le Parlement est également limité, voire anecdotique.
Outre l’ascendant exercé par l’exécutif, les élus peuvent être soumis à des pressions judiciaires pour délit d’opinion ou dans l’exercice de leurs fonctions. L’immunité qui leur a été accordée est relative et ne concerne pas les « infractions d’injure, de diffamation et d’échange de violences commises à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Assemblée. [Le député] n’en bénéficie pas également au cas où il entrave le fonctionnement régulier de l’Assemblée », précise la Constitution ratifiée par référendum en juillet 2022, avec une participation de 30,5 % des électeurs inscrits.
Interdit aux journalistes
Scène révélatrice du nouveau climat politique qui règne en Tunisie : à l’exception des médias d’Etat, aucun journaliste n’a pu pénétrer dans l’enceinte, lundi, pour assister à la séance inaugurale. Une première depuis la révolution de 2011. Pour protester contre ces mesures, un groupe de journalistes a manifesté son désaccord devant les barrières métalliques dressées à l’entrée du Parlement. Un important dispositif policier a été déployé autour du bâtiment en remplacement des véhicules militaires qui en bloquaient l’accès depuis le coup de force de Kaïs Saïed, en juillet 2021.
Au cours de cette première séance, les députés ont élu à la présidence de l’ARP Brahim Bouderbala, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats. Fervent défenseur du coup de force de Kaïs Saïed et du « processus du 25 juillet », il avait participé au printemps 2022 à la « commission nationale consultative pour une nouvelle République » censée élaborer un projet de Constitution. Lors de son discours d’investiture, M. Bouderbala a réaffirmé son soutien au processus politique actuel et sa volonté de travailler « de manière constructive » avec l’exécutif. Tout en appelant les investisseurs étrangers et les touristes à se rendre en Tunisie, il a indiqué vouloir « rassurer tous les citoyens et les étrangers en situation régulière » – référence à la polémique déclenchée par les déclarations du 21 février du président de la République à l’encontre des ressortissants d’Afrique subsaharienne.
Malgré ce soutien de poids, Kaïs Saïed n’est pas assuré d’avoir une majorité en sa faveur. Ils sont nombreux à s’être présentés en tant qu’« indépendants » sans que leur passé ou leur orientation politique ne soient connus. Le site d’information tunisien Al Qatiba a identifié une trentaine de députés (sur 154) qui ont affiché clairement leur affiliation ou leur soutien au projet du président.
« Un Parlement en carton-pâte »
En amendant la loi électorale pour interdire aux partis politiques de participer ès-qualités aux élections, Kaïs Saïed a voulu éviter le retour de ceux qui étaient au pouvoir entre 2011 et 2021, une période que ses partisans qualifient de « décennie noire ». Pourtant, selon l’enquête d’Al Qatiba, plus d’une quarantaine de députés élus ont été affiliés à Nidaa Tounes, le parti fondé par l’ancien président Béji Caïd Essebsi en 2012 pour contrer les islamistes d’Ennahda, alors au pouvoir. D’autres sont des notables connus dans leurs localités pour avoir été membres du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti de l’ancien président Zine El-Abidine Ben Ali.
« Peut-être qu’ils vont se mettre en mode Ben Ali et que l’Assemblée sera une chambre d’enregistrement », s’interroge avec amertume Saïda Ounissi, ex-députée Ennahda dont le mandat avait été suspendu le 25 juillet 2021 avec le coup de force de Kaïs Saïed :
« On ne pouvait pas avoir une fausse Constitution, un faux scrutin législatif, le pouvoir entre les mains d’un seul homme et s’attendre à autre chose que ce qu’on voit là : un Parlement en carton-pâte, un décor. »
Le Front de salut national (FSN), principale coalition d’opposition à Kaïs Saïed – dont Ennahda fait partie –, a affirmé dimanche ne pas reconnaître ce nouveau Parlement « issu de la Constitution d’un coup d’Etat […] et d’élections boycottées par une écrasante majorité ». Environ 11 % des électeurs s’étaient déplacés les 17 décembre et 29 janvier pour ces élections législatives boudées par une grande majorité des partis politiques et des militants opposés au régime, qualifié d’autoritaire, du nouvel homme fort de Tunis.
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